H. Détraz : Promenades et congés

Jamais de ma vie je n’ai fait d’aussi belles promenades qu’à Monastir.

Jamais de ma vie je n’ai fait d’aussi belle promenades qu’à Monastir. Et toujours à pied car il n’y avait alors ni voitures , ni même de bicyclettes. Jamais on ne se serait permis d’omettre la promenade du jeudi, encore moins celle du dimanche.

Tous ensemble , le tricorne sur la tête, le manteau de frère sur le bras gauche et toujours la canne à la main, car dans ce pays , pour suppléer aux gendarmes, les chiens pullulent, pas des chiens à la mémère ou des caniches mais des molosses à l’aspect peu abordable et aux crocs redoutables.
Ainsi harnachés, nous voilà partis en un seul groupe par la rue principale sans prêter garde aux regards amusés des passants qui devaient sans doute se demander ce que signifiait ce défilé de kaloudgers (moines) . Les buts ne manquaient pas car la ville est environnée de collines et de montagnes qui cachent dans leurs replis bourgs et villages.

Rien ne nous arrêtait

Rien ne nous arrêtait , pluie, neige, froid, vents, bourrasques, même les chaleurs torrides de l’été ne faisaient qu’exciter notre ardeur, surtout celle de l’équipe des jeunes de 20 ans qui formait la majorité de la Communauté.
Gonflés à bloc par ces bains d’air pur et rompus de fatigue, on envisageait alors sans crainte la classe du lendemain où chacun avait à affronter durant six heures pleines 45 à 50 élèves. Grâce à un tel régime , on ne savait pas ce qu’était la dépression nerveuse , ni l’hypocondrie.

La promenade préférée était une source d’eau fraîche gazeuse, ferrugineuse et un tantinet sulfureuse « eksisson » en turc : c à d. acidulée. Comme elle était à 6 Km de la ville, on y arrivait en été tout en sueurs et la gorge sèche : c’était alors un délice de se désaltérer de cette eau que tous estimaient meilleure que la bière.

Nous étions souvent abordés dans nos randonnées par des groupes d’enfants qui nous savaient français et qui , en toute confiance, nous réclamaient des médailles dont nous remplissions nos poches au départ.

Ce qu’on voyait dans les villages que nous traversions

Il n’y avait rien à admirer dans les villages que nous traversions. Rares étaient les maisons en dur. Le grand nombre était en pisé et à un rez-de-chaussée dont le sol était en terre battue à peine plane . Le mobilier primitif et réduit au minimum mais partout figurait une Icône de la Ste Vierge « bogoroditsa » (mère de Dieu ) et l’image du patron de la famille, souvent Saint Nicolas.

Ce qui nous surprenait le plus , c’étaient les façades ; presque toutes étaient couvertes de disques verdâtres : en été, les bouses de vaches bien pétries , à la main bien sûr, étaient plaquées d’un geste auguste sur les murs exposés au soleil ; l’hiver c’était un excellent combustible. La misère est bonne conseillère et , dans la nécessité, elle suscite des initiatives inédites.

Le grand congé des mercredis

Pendant les grandes vacances, l’usage était établi de faire un grand congé tous les mercredis. Grâce à la serviabilité des Lazaristes qui desservaient la paroisse ou mieux la mission , car les catholiques on les comptait sur les doigts, nous pouvions avoir une messe de très bon matin.

Sitôt après le déjeuner , on se chargeait de victuailles et en route pour le Péristèri (2600m.) ou tout autre montagne. Le Fr Clémentien emportait toujours un bon gigot de mouton que l’on ferait rôtir sur la braise une fois rendus sur les lieux.
Pas n’était besoin de desserts : il y avait sur place toute espèces de fruits : mûres, framboises, airelles, fraises. Une denrée qui ne manquait pas : le café. Un spécialiste de vrai café à la turque nous le préparait sur place. Et toute la journée se passait à vagabonder dans la montagne, soit à ramasser du bois mort pour cuire le gigot, soit à cueillir les fruits qui constituaient le dessert.

Nous aurions pu nous croire les rois de la montagne : on n’y rencontrait jamais âme qui vive. Le souvenir amer du passé et la rumeur populaire remplissaient les parages de bandits ou de comitatjis albanais , si bien qu’aucun citadin n’aurait oser y pénétrer ; on nous admirait en nous voyant braver les dangers imaginaires puisque nous n’avons jamais été inquiétés par des vauriens.

Fr. Hilaire Détraz, extraits de ses Mémoires (1980)

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