Mémoires du F. Charles Bonnet (suite) LE POSTULAT, février 1929

Un voyage plein de péripéties - Reconnaissance envers le Fr Bouvier - le milieu très artificiel du noviciat.

Février 1929. Départ au Postulat de San Maurizio. Un voyage plein de péripéties !

Partis vers 16 heures de la gare de Franois, nous faisons halte en gare de Mouchard, pour attendre le Strasbourg-Vintimille. Il fait 20° en-dessous de zéro. Bien au chaud à la salle d’attente, le temps passe assez vite jusqu’à minuit. A ce moment, nous avons déjà six heures de retard. Que se passe-t-il ? Simplement : les conduites de la locomotive du Vintimille ont éclaté sous la pression du gel et il a fallu recourir à une autre machine.

Il fait –20° dehors

Ce n’est que vers 2 heures ou 3 heures du matin que le convoi peut s’ébranler, mais nos émotions ne sont pas terminées. Nous nous entassons (14 + Fr. Galland) dans un compartiment de 3e classe, non chauffé, non éclairé. Il fait –20° dehors. Nous brûlons du papier pour nous réchauffer : alors le givre du plafond nous dégouline sur le visage. Impossible de passer en wagon de 2° classe, éclairés et chauffés, car les portes sont verrouillées. C’est ainsi que nous faisons le voyage Mouchard-Bourg.

Nous arrivons à Turin vers 22 heures

En gare de Bourg, petit déjeuner rapide, car on annonce le Paris-Rome, dans lequel nous montons. Celui-ci est en bon état, mais fera une halte prolongée à la frontière : Modane. Là, nous utilisons nos derniers sous et nos provisions, en attendant un départ hypothétique pour l’Italie. Enfin, nous arrivons à Turin vers 22 heures. Là, plus de train pour San Maurizio.

Ce n’est qu’après de longs palabres que notre mentor, le F. Gailland, réussit à découvrir un car qui nous conduisit au Noviciat. A minuit précise, nous débarquions, par un froid de canard, à ce lieu inconnu, mais désiré. Là, un homme, un vrai, nous attendait sur le seuil, le porte-monnaie à la main, car notre guide n’avait plus de quoi payer le chauffeur. Repas chaud. Nuit prolongée et nous voilà plongés dans les effluves du Postulat.

Frère Bouvier, nous entoura de toute
sa compréhension et affection

Un an et demi avant mes premiers voeux, des difficultés d’adaptation : très peu pour moi de souche paysanne, j’étais habitué à supporter les misères de la vie. Cependant, il faut bien constater que le Maître des novices, Frère Bouvier, nous entoura de toute sa compréhension et affection. Homme plein de bon sens, religieux sérieux, il savait, en direction, atténuer la rigidité d’un sous-maître, religieux exemplaire certes, mais au regard acéré sur des vétilles. Il voulait notre bien, mais maladroitement.

Frère Bouvier avait un regard ouvert sur le monde extérieur. Combien j’ai attendu avec impatience ces causeries à bâtons rompus du dimanche matin, où il nous lisait le Pèlerin, la Croix ou une lettre du Frère Martin de l’infirmerie de St-Genis. Un bon souvenir aussi : les congés, dans la montagne de Corio, ou les baignades dans la Stura. Ces petites joies étaient un onguent adoucissant la monotonie du règlement, nous introduisant progressivement dans notre vie de Frère. Le Noviciat était tout de même un milieu très artificiel et clos sur le monde extérieur.

Mes parents vinrent assister à ma prise d’habit, et logeant au village, furent très surpris de comprendre facilement le parler des gens. A croire que le piémontais est assez proche de l’occitan !

Un point positif de la formation spirituelle :
l’étude de l’Evangile

Je ne parlerai pas de la formation spirituelle, sauf pour en signaler un point positif : l’étude de l’Evangile. Chaque dimanche matin, non pas que le négatif représente la majeure partie de notre temps, mais, nos maîtres avec leur formation, ne pouvaient donner plus qu’eux-mêmes n’avaient reçu. Le Saint-Esprit devait faire le reste.

Rentrant du Noviciat en soutane et rabat, et devant prendre le train en gare de Saint-Paul à Lyon, je fus témoin d’un spectacle inconnu pour moi. Dans la salle d’attente, une maman allaitait gentiment son bébé au vu et su de tout le monde. Le seul monde était formé de deux petits moines frais émoulus du Noviciat.

Qui fut le premier gêné ? La maman ou les deux Frères ? Après un premier moment de surprise, chacun campa sur ses positions. Mais, j’ai gardé longtemps cette vision de ce petit mamelon tout rose, sucé goulûment par un embryon d’homme.

(Mémoires inédits de fr Charles Bonnet)

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