« Les grandes blessées. – L’Ecole française de Monastir . »

Article publié par le grand quotidien l’ECHO DE PARIS du 24 Juillet 1922, sous le double titre : « Les grandes blessées. – L’Ecole française de Monastir . »

Sous le double Titre : « Les grandes blessées. – L’Ecole française de Monastir . » Le grand quotidien l’ECHO DE PARIS du 24 Juillet, publiait l’article suivant :

La France , il y a quelques mois, acclamait et fêtait ses enfants les plus méritants .
( Allusion à une distribution fort importante de prix aux « Filles les plus méritantes » de France)
Ce n’était que justice. Je voudrais aujourd’hui présenter aux lecteurs de l’Echo de Paris une autre fille de France , bien méritante, je m’en porte garant, malheureuse aussi : on en jugera. Il s’agit non plus d’une jeune fille de chez nous, soutenant de son travail vieux parents et petits frères, mais d’une ECOLE qui nourrit là-bas le bon renom de la Patrie, l’amour de notre culture er de notre langue, à qui la France doit d’être mieux connue , plus aimée, un peu plus grande. « Là-bas » c’est MONASTIR, le Monastir des communiqués de la grande guerre, un des postes avancés de la civilisation française en Serbie. L’histoire de cette école , de sa fondation , de ses malheurs , de son courage quand même Mérite d’être contée.

L’école de Monastir, sa fondation, ses malheurs

C’est en 1905 qu’une petite colonie de Frères Maristes s’établit à Monastir. Il s’agissait pour eux de prendre en main la direction d’une école française qui végétait.
La situation était difficile dans cette Macédoine occidentale où tant d’influences, servies par de grosses ressources, se disputaient une clientèle écolière avide de s’instruire. Pauvres d’argent mais riches de courage et de dévouement, les Petits Frères de Marie s’installèrent tant bien que mal . Pour attirer dans leur chètive école , ils n’avaient qu’un avantage : celui d’être français.

On vint à eux comme on vient à la France partout où elle se montre. Ils avaient débuté avec 40 élèves ; d’année en année le nombre s’accrut , si bien qu’en 1910, il fallut songer à doubler le premier local devenu trop étroit d’une construction nouvelle qui permit à l’école française de faire figure auprès des écoles israélite et ottomanes. A mesure qu’elle se remplissait , l’école relevait son niveau. On y ajoutait une bibliothèque scolaire, un cabinet de physique et chimie, si bien que l’école française ne tarda pas à attirer , après les petits écoliers , de grands jeunes gens désireux de se perfectionner dans l’étude des sciences et la connaissance de notre langue. La petite étincelle était devenue un foyer :il rayonnait

La guerre survint et, avec elle bientôt, l’occupation bulgare.

Elle devait durer un an. Dans l’école française tout fut mis au pillage. Les batiments du moins restaient intacts ; mais les bombardements qui suivirent l’entrée de nos troupes dans Monastir libérée les éprouva cruellement.

Aussi , quand en juillet 1919, le Directeur de l’école, démobilisé, vint juger de la situation, il la crut désespérée. Il devait apprendre que partout où ils se trouvent, nos poilus réalisent des merveilles. C’en fut une que de remettre en état les ruines de l’école. En octobre trois chambres avaient pu être rendues à peu près habitables : les classes s’y rouvrirent. En septembre 1920, les bâtiments, grâce au concours de l’armée, étaient suffisamment réparés pour permettre le fonctionnement normal de l’école. Ce n’était pas la prospérité d’avant guerre mais une année paisible semblait promettre le renouveau. Et l’année 1921-22 s’annonçait meilleure encore lorsqu’un terrible accident vint réduire à néant tous ces espoirs.

L’explosion du dépôt de munition

Le 18 avril 1922, une série d’explosions formidables détruisaient l’immense dépôt de munitions accumulées aux portes de la ille. Pendant deux jours des détonations effrayantes se succédèrent accompagnées d’une avalanche d’obus et de torpilles qui ravagea tout le quartier où se trouvait l’école.

Par bonheur le personnel put fuir à temps et fut épargné. Mais quand, après deux jours de transes passés dans un gîte de hasard, les professeurs purent, sans courir trop de risques, rentrer en ville, un spectacle douloureux les attendait. La chère école n’ était plus qu’une ruine lamentable. Portes arrachées, fenêtres enfoncées, cloisons fendues et disloquées, toiture crevée, monceaux de platras Tombés des plafonds ou détachés des murailles : tel était le triste bilan de ce nouveau bombardement.

D’autres auraient désespéré. Mais les témoins de ce désastre étaient des vétérans de la guerre : ils avaient vu d’autres ruines. Avec le courage et l’industriosité rapportés du front, ils se mirent à la tâche. Le soldat a toujours était un peu terrassier et le missionnaire quelque peu maçon ou charpentier. On reprit la pelle, le marteau , la truelle, le rabot. Trois jours de travail acharné suffirent aux réparations les plus urgentes. Quand les crevasses du toit furent à peu près bouchées, les portes remises en place, les fenêtres rafistolées, un écriteau cloué sur la porte annonça la bonne nouvelle :
« La rentrée du troisième trimestre aura lieu le lundi 24 Avril. »

En ville, la nouvelle fit traînée de poudre :
« Ces Français ! disait-on, Ils n’ont pas leurs pareils ! Le ciel pourrait tomber qu’ils trouveraient le moyen de la remettre en place. »

A la guerre comme à la guerre !

A la guerre comme à la guerre ! On l’avait si souvent répéré pendant cinquante et un mois, qu’on s’en souvenait encore après la paix. On s’arrangea donc dans ce misérable provisoire et , à force d’ingéniosité et de privations, on arriva à finir l’année. Aux vacances il fallut cependant songer à de sérieuses réparations : elles engloutirent et au-delà les maigres épargnes de l’école. Un moment on avait caressé l’espoir bien légitime d’une indemnité de l’Etat Serbe. A deux reprises des commissions s’étaient transportées sur les lieux et avaient noirci du papier . C’est tout ce qu’on en vit. Quand le Directeur se présenta au guichet, ce fut pour apprendre que les caisses étaient vides.

Il faut cependant que l’école vive,

Il faut cependant que l’école vive, que cette petite flamme française , qui brillait là-bas si active, si lumineuse, ne soit pas étouffée par les ruines. Il faut pourvoir aux réparations encore inachevées. Il faut renouveler le mobilier scolaire, regarnir la bibliothèque, remonter le cabinet de physique et de chimie. Il faudrait même pouvoir acquérir un bout du champ voisin qui donnerait aux écoliers un peu plus d’espace pour leurs jeux. Il faut…, il faudrait. L’urgent et le désirable !

Et pour assurer le présent et l’avenir d’une œuvre si riche de promesses , que faire quand on a que des dettes ? Lorsqu’il ne s’agit que d’eux-mêmes , les missionnaires ne se résignent pas à tendre la main : comme ils ont la pudeur de leur héroïsme, ils ont la fierté de leur détresse. Mais quand il s’agit d’une œuvre qui peut tant faire pour le bon renom de la France parmi les enfants de ces Serbes héroïques, nos compagnons d’armes pendant la guerre, il est naturel qu’à ceux qui se sont faits les ouvriers de cette tâche vienne cette pensée : « C’est à la France de nous aider. »

Louis Jalabert

P.S.- Les offrandes peuvent être envoyées au signataire de ces lignes
5, place du Président-Mithouard, Paris 7°
Ou versées à mon compte courant postal , Paris, 155.55

Cet article a été publié par "Le Petit Juvéniste de mai-juin 1923, p. 357.
Il a été repris dans les Mémoires de fr Hilaire Détraz

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