La captivité (2) : nous sommes devenus des squelettes ambulants

Mémoires du F. Charles Bonnet (suite) - Une chasse aux Juifs qui dure une semaine. Je touche, dans ce camp, au fond de la misère humaine.

La chasse aux Juifs dans tout le Grand-Reich. Mon nez « bourbonnien » me fait prendre pour un Juif et je suis soumis à un régime spécial. J’avais obtenu de faire partie d’un commando de carrière. Nous partions pour la journée, jusqu’à une carrière de sable située près de la ville ; sur notre passage, les Allemands déposaient par terre, parfois des cigares ou des cigarettes, ou bien notre gardien nous déposait quelques minutes dans la cour de sa caserne, et s’éloignait pour nous permettre de faire la cueillette des mégots que les soldats avaient jetés dans la cour.

Le travail de la carrière n’était pas trop pénible : il consistait à remonter le sable par paliers, d’un trou de 6 à 7 m de profondeur, jusqu’à la surface, pour être chargé dans les camions. Les gardiens avaient souvent de la visite féminine et nous laissaient la paix : sauf le jour de la recherche des juifs.

Cette chasse aux juifs dura près d’une semaine

Ce jour-là, mon gardien soupçonnant en moi un « Yudi » camouflé, me fit descendre au fond du trou, et tout le long du jour, m’obligea à travailler sans arrêt à lever le sable à 1,50 m au-dessus de ma tête. De retour au camp, je fis une réclamation au chef de tente qui se rendit compte de l’erreur de la sentinelle, et me fit des excuses. Plusieurs de mes camarades, Juifs authentiques, furent découverts et envoyés dans des commandos disciplinaires ou maltraités. Cette chasse aux juifs dura près d’une semaine ; quant à moi, elle avait duré une journée entière.

Après quelques mois pour construire des baraques en dur, nous fûmes envoyés dans un autre camp, pour relayer un groupe de Bretons atteints et décimés par la dysenterie (150 malades sur 300 !). Rien d’étonnant les conditions sont affreuses. Eau potable : un seul robinet, entouré de quatre rangées de fils barbelés, et ouvert une heure par jour : nous sommes des centaines d’hommes. En dehors de ce robinet, l’eau a une odeur et un goût de pétrole.

Nourriture : matin, un verre d’ersatz avec 15 g de confiture ou de margarine. soir, un potage bien clair, parfois un peu plus épais. travail très dur : établissement du plus grand aéroport d’Europe dans une région de collines boisées. Les psaumes prenaient une résonance particulière.

Départ du camp : avant le lever du soleil. Retour : à la nuit. Journée continue. Nous réussissons à survivre grâce au système D français. Les poux font leur apparition. On met à notre disposition deux cuves pour faire bouillir le linge, mais défense de rentrer du bois au camp. Ces cuves serviront au linge, mais aussi à la cuisson des pommes de terre trouvées par hasard dans un champ et cueillies plusieurs fois sous les balles des gardiens.

Je touche, dans ce camp, au fond de la misère humaine.

C’est un peu la loi de la jungle… mais, je mesure aussi les limites de la résistance humaine. J’avais lu et entendu parler que l’homme est un loup pour l’homme : dans ce camp : cela se réalise. Nos gardiens sont des chiens méchants toujours prêts à mordre, sans cœur, semble-t-il. Quand nous allons à la soupe le soir, plus d’une heure de station debout, nous passons devant les baraques d’autres prisonniers civils, polonais, communistes allemands, Tchèques, etc. Devant chaque baraque, se trouve un tonneau réservé aux restes du repas. Plusieurs fois, j’ai réussi à y puiser un supplément de pitance pour notre équipe. Or, certains prisonniers, jetant leur reste de nourriture dans la tonne, y crachaient dedans, en nous regardant d’un air mauvais.

En quelques semaines, nous sommes devenus des squelettes ambulants : je me lève jusqu’à 5 ou 6 fois par nuit pour uriner : signe d’anéantissement. Ce qui nous sauve ? .. l’esprit d’équipe : nous sommes soudés, et partageons vraiment tout. Un fait : Nous « crevions » littéralement de faim et souvent de soif, et, à longueur de conversation, nous composions des « menus » pour notre retour en France …

Je constate que ceux qui ont une certaine « foi » tiennent mieux le coup que les autres : le découragement les abat moins. Un beau jour, après un mois de cette vie de bagnard, on demande des volontaires : aussitôt, notre équipe s’inscrit. Onze gars décidés à changer de situation. Nous avons la chance, après une journée de train, d’aboutir dans une ferme assez importante : 365 ha environ, RITTERGUT MOGLIN.

(Mémoires inédits de fr Charles Bonnet)

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