L’euthanasie ; le « cocktail lytique » ; les soins palliatifs

L’euthanasie est en fait beaucoup plus souvent pratiquée qu’on ne le dit. C’est à mes yeux une pratique barbare et perverse, parce que les consignes restent dans le flou et l’irresponsabilité.

L’euthanasie est en fait beaucoup plus souvent pratiquée qu’on ne le dit. Dans la plupart des services chroniques (qui reçoivent des malades au très long cours), un jour ou l’autre, au bout de la vie, on recourt à ce qu’on appelle le « cocktail lytique », une perfusion composée de Phénergan, de Largactil et de Dolosal, c’est-à-dire un analgésique, un neuroleptique et un tranquillisant. Il suffit d’augmenter la dose, et, si le malade est très affaibli, une dépression respiratoire entraîne rapidement la mort.

C’est à mes yeux une pratique barbare et perverse, parce que les consignes restent dans le flou et l’irresponsabilité. Est-ce de l’euthanasie, est-ce de la thérapeutique ? Médicalement, le cocktail lytique est très apaisant.
Personne n’avoue que c’est aussi un cocktail léthal. Le médecin prescrit sobrement : « De douze gouttes vous passerez à vingt. » Cela s’appelle « accélérer la perfusion ».
Qui accélère la perfusion ? Pas le médecin bien sûr, qui est un prescripteur mais pas un technicien des soins. C’est la tâche des exécutants, des infirmières. Qu’on laisse alors se débrouiller seules face àcette écrasante mission. (…)

L’euthanasie est une réponse brutale à un problème mal posé. On ne sait au profit de qui elle s’exerce : est-ce pour le confort du soignant qui ne supporte pas l’échec de ses dogmes ? pour celui de la famille confrontée à une douleur insensée ? ou pour celui du malade mal entouré, mal soutenu, qui souffre et qui a peur parce qu’il n’a jamais affronté les questions existentielles et n’a jamais recherché les clés métaphysiques ?

Si au contraire on conçoit la médecine comme une aide à l’épanouissement de la personne, un accompagnement dans son cheminement vers l’ouverture spirituelle, un soutien dans sa quête d’un sens à son passage dans la vie, l’euthanasie n’a pas lieu d’être.

Cette conception enfin humaniste, généreuse et complète, on la trouve à l’œuvre dans les soins palliatifs - et, de fait, il n’y est jamais question d’euthanasie. Affirmons-le avec force face à la volonté de puissance de nos apprentis sorciers : l’agonie peut être une apothéose spirituelle. (…)

L’euthanasie est aujourd’hui le signe que la médecine est dans l’impasse. Celle-ci a certes rendu d’immenses services et a apporté des bienfaits inestimables. Mais elle s’est figée au sommet de sa logique, pendant que le monde continuait de tourner.

Aujourd’hui, nous sommes au milieu du gué. Tout en réclamant plus, toujours plus d’efficacité, nous nous demandons avec une certaine angoisse où mènent cette quête et ces conquêtes. Nous savons bien que ce sont déjà les gestionnaires, les financiers, qui décident de notre santé, qui autorisent ou non telle ou telle méthode, remboursent ou non tel ou tel acte, telle ou telle molécule.
Et il ne peut en être autrement : par définition, l’excellence n’est pas destinée à tous. La logique d’excellence exclut donc automatiquement tout ce qui en déborde. (p. 110 sq)

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