Le fait lui-même et la personnalité des visionnaires
Le premier point sur lequel s’exerce le discernement est le fait lui-même. Dès lors qu’il est avéré que l’on ne se trouve pas en présence d’une illusion, voire d’une simple rumeur, l’enquête peut se porter sur les particularités de l’événement, et tout d’abord sur la personnalité des visionnaires, dont est requis l’équilibre psychique, l’honnêteté et la rectitude de la vie morale, la sincérité et la docilité habituelles envers l’autorité ecclésiastique, l’aptitude à mener le régime normal d’une vie de foi, toutes qualités que l’on remarqua chez Bernadette Soubirous, à Lourdes, et qui, portées par la suite à un degré héroïque, motivèrent sa canonisation en 1933.
De semblables vertus chez la plupart des
bénéficiaires d’apparitions authentiques
Semblables vertus se retrouvent chez la plupart des bénéficiaires d’apparitions authentiques, dont certains ont été élevés aux honneurs des autels - Catherine Labouré, la voyante de la rue du Bac (1830), canonisée en 1947, et les enfants Francisco et Jacinta Martos, de Fatima (Portugal, 1917),béatifiés en 2000 -, tandis que les causes de canonisation sont introduites pour Benoîte Rencurel ou Lucie de Fatima.
Ces voyants ne sont pas glorifiés par l’Eglise parce qu’ils ont vu la Vierge, mais à cause de la sainteté de leur vie. Aussi n’est-il pas étonnant que l’exemplarité des voyants, non seulement au cours des apparitions, mais après que celles-ci ont cessé, demeure un critère positif très fort.
Parfois des divagations d’esprits malades, fragiles ou exaltés
Si l’on se trouve parfois en présence de divagations d’esprits malades, fragiles ou exaltés, c’est aisément repérable : bien des cas ne résistent pas à l’épreuve du temps et sombrent bientôt dans l’oubli, sans que l’autorité ecclésiastique ait à intervenir.
En revanche, les faits de fraude consciente et volontaire ne sont pas rares, motivés par l’esprit de lucre, l’attrait de l’argent facile allié à la soif de gloriole, voire au désir de revanche sociale. Sur ce sujet, un livre comme celui de Moisés Garrido Vàzquez, intitulé fort explicitement El negocio de la Virgen, démonte les mécanismes par lesquels plusieurs visionnaires espagnols, abusant de la générosité de dévots crédules, se constituent parfois de véritables pactoles en espèces et en biens immobiliers. Un tel ouvrage n’existe malheureusement pas pour la France, ou pour d’autres pays, qui serait fort instructif.
La vénalité de soi-disant voyants
On ne peut en effet nier la vénalité de soi-disant voyants pour qui l’apparition ne constitue rien d’autre que ce qu’il faut bien appeler un job lucratif. « Son métier, c’est d’être voyant », raillait déjà Mgr Bueno y Monreal, cardinal archevêque de Séville, en parlant de Clémente Dominguez (1946-2005), visionnaire d’El Palmar deTroya, où la Vierge était réputée apparaître depuis 1968.
On pourrait en dire autant de divers voyants contemporains, (tels les deux garçons - aujourd’hui des hommes - de Medjugorje, qui vivent des apparitions alléguées de Gospa, n’exerçant pas de métier parce qu’ils bénéficient des avantages financiers que leur consentent de riches bienfaiteurs : il n’est pas innocent que les habitants de la localité aient surnommé « avenue des millionnaires » la rue où ils habitent les agréables villas que leur ont offertes leurs donateurs). Ces voyants ont donc tout intérêt à ce que leurs « apparitions » se prolongent le plus ; longtemps possible, puisqu’elles constituent leur gagne-pain.
Une véritable répulsion pour l’argent chez Bernadette Soubirous
A Lourdes, en revanche, Bernadette manifeste d’emblée une véritable répulsion pour l’argent, qu’elle traduit en rejetant les pièces de monnaie que les dévots indiscrets tentent de lui glisser dans la main, en disant : « ça me brûle ! », et en giflant son petit frère qui a eu l’étourderie d’accepter une piécette : la famille connaît pourtant des conditions d’existence extrêmement précaires.
Le même désintéressement se rencontre chez tous les authentiques voyants sans exception qui, une fois les apparitions terminées et lorsqu’ils deviennent adultes, s’intègrent dans le monde du travail - parfois difficile, souvent ingrat - quand ils n’ont pas de vocation religieuse. Les enfants de Beauraing, en Belgique, qui virent la Vierge durant l’hiver 1932-1933, se sont plus tard mariés et engagés en adultes responsables dans les activités paroissiales comme dans la vie professionnelle ; la « petite » Mariette Becco, qui eut des apparitions de la Vierge des Pauvres à Banneux (Belgique, 1933), mène toujours une existence effacée, après avoir connu des épreuves assumées dans la confiance et l’abandon à Dieu ; de même, les quatre fillettes de l’Ile-Bouchard, dont les trois survivantes demeurent fidèles, dans la discrétion et le silence, au message de Notre-Dame de la Prière qu’elles contemplèrent du 8 au 15 décembre 1947.
Discrétion et honnêteté, conjuguées à la rectitude morale,
constituent un critère d’une importance capitale
Cette discrétion et cette honnêteté, conjuguées à la rectitude morale, constituent un critère d’une importance capitale, car elles permettent d’apprécier la capacité du voyant à transmettre le message dont il se dit porteur, et la valeur de son témoignage : c’est par une vie de conversion que le voyant atteste l’authenticité de la grâce reçue. Les exemples éclatants qu’en ont donné Bernadette et Catherine Labouré ainsi que les pastoureaux de Fatima, ou Benoîte Rencurel, et les témoignages moins connus d’autres voyants, tels ceux de Pellevoisin, de Beauraing ou de Banneux, pour ne citer que quelques cas, illustrent la fécondité de la grâce de l’apparition chez ses récipiendaires, là où on l’attend en premier lieu.
En revanche, lorsque des voyants se fourvoient après les apparitions (cela arrive), celles-ci sont frappées de discrédit et, si authentiques aient-elles été, elles en restent marquées par une désaffection, voire une remise en question de la part des fidèles : attribuables pour partie à leur fragilité psychologique, les errements de Mélanie et de Maximin, les voyants de La Salette (France, 1846), après l’apparition sur la Sainte Montagne - une existence instable, des propos parfois ambigus, la ténacité de Mélanie à vouloir accomplir une mission que ne lui reconnaissait pas l’Eglise - ont quelque peu terni l’éclat de cette mariophanie qui reste parmi les plus remarquables.
Des faits d’abord reconnus, puis totalement déconsidéré
Plus récemment, les faits de Yagma (1986-2005) au Burkina Faso, reconnus en 1994 par Mgr Guirma, évêque de Kaya, ont été totalement déconsidérés à cause du comportement de la visionnaire. La somme dirigée par René Laurentin, Dictionnaire des apparitions de la Vierge (Fayard), retrace le destin troublant de Marie-Rose : « Aujourd’hui, Marie-Rose n’a plus aucun crédit auprès de l’Eglise locale. Mgr Guirma passe pour s’être laissé complètement abuser. C’est un cas de déviance caractéristique. Si Mgr Guirma, homme spirituel, l’a reconnue au début, Marie-Rose l’a circonvenu. Cet évêque transmettait trop facilement ses demandes d’argent ou de dons en nature considérables, faites au nom de la Vierge, qui ont troublé ou choqué les correspondants européens. Cette déviance n’a cessé de se confirmer : Marie-Rose ne pratique plus, et la police accuse ses mœurs. »
Des évêques amenés à reconsdérer des apparitions
A l’inverse, la discrétion d’autres voyants, la dignité de leur vie, leur obéissance exemplaire à l’autorité ecclésiastique, amènent des évêques à reconsidérer des apparitions - parfois anciennes - tenues pour peu crédibles, voire condamnées, et à leur accorder une attention nouvelle : ainsi les faits de Heede (Allemagne), où quatre fillettes dirent voir, de 1937 à 1940, la Vierge sous le vocable de Reine de l’Univers ; de Bonate (Italie, 1944), où la petite Adelaide Roncalli prétendit bénéficier d’apparitions de la Vierge, mais aussi de la Sainte Famille ; ou de Balestrino (Italie), signalés par 135 apparitions de la Vierge de 1949 à 1971, dont la voyante Caterina Richero mena dans l’humilité et l’obéissance une vie conjugale et professionnelle équilibrée, fidèle aux appels à la prière et à la pénitence de la Madone. Ces apparitions, suspectées à l’époque par l’autorité ecclésiastique, sont aujourd’hui à l’origine de sanctuaires mariaux très fréquentés, et ce en grande partie grâce au témoignage exemplaire des voyantes.
Le Figaro : « 1858-2008 : Lourdes, de Bernadette à Benoît XVI »