L’Ecole de Souvigny (Allier) à partir de 1855

Cette école fondée par l’aristocratie et le clergé dans une région peu chrétienne, sous l’Empire autoritaire, n’a jamais pu bénéficier d’un appui suffisant de la société.

Cette école est fondée en 1855 dans une commune de 2950 habitants. Le curé et la famille Boisrenaud ont profité du fait que l’instituteur laïque, M. Tauveron, « un brave homme, un bon instituteur, satisfaisant tout le monde » a été nommé à Moulins, pour faire venir des frères.

Comme le conseil municipal « déjà républicain » leur refuse l’école publique, le comte et la comtesse de Boisrenaud font donc construire une école libre pour trois frères qui s’y installent en 1855 et commencent d’enseigner une quarantaine d’élèves.

Le curé persuadé que les Frères sont là pour lui obéir …

Aussitôt le curé, persuadé que les frères sont là pour lui obéir, exige la création d’un cours d’adultes et demande un 4e frère comme chantre. Malgré les représentations du Visiteur il ne cessera de harceler les frères, qu’il trouve trop peu obéissants et respectueux à son égard.

En 1865 le directeur dressera la liste de 27 griefs portés contre eux, tels que :
Les enfants de chœur qu’il renvoie devraient être renvoyés de l’école [… 1 ; les frères ne lui demandent pas permission pour aller en promenade, ni pour faire des visites aux personnes notables […] Ils prennent trop racine à Souvigny et leurs enfants sont en trop grand nombre ; il ne faudrait pas craindre d’en renvoyer" …

Pour satisfaire cet irascible pasteur, il faudra souvent changer les directeurs.

L’école prospère lentement

Néanmoins, l’école prospère lentement : 80 élèves en 1862 ; 120 en 1865, répartis en trois classes, avec étude du soir et cours d’adulte groupant 25 jeunes gens.
En 1876, le vicaire organise une fanfare, dont le poids va rapidement retomber sur le F. Directeur. La lutte avec l’école Iaïque est déjà ardente et un scandale survenu à l’école des frères affaiblit leur position.
Dans les années 1880, école laïque et école congréganiste ont à peu près le même effectif : 140 élèves. On lutte par la création d’une salle d’asile, de distributions de prix les plus brillantes possible :
« on y a joué des pièces, des morceaux comiques, des morceaux de chant ou de fanfare »
qui exigent beaucoup de travail.

Dans les années 1885 : obligation du brevet

Dans les années 1885 l’obligation du brevet pour chaque enseignant contraint le directeur à laisser ouverte la porte de communication entre sa classe et celle de son adjoint non breveté, ce qui gêne l’enseignement. Les jeunes frères cuisiniers ne font que passer car ils sont rappelés pour préparer leur brevet. La marche médiocre de l’école notée par les Visiteurs semble la cause d’une baisse d’effectifs : les élèves ne sont plus que 96 en 1887.

Le F. Joseph Eugène arrive alors.

Il a 31 ans. Il restera à Souvigny jusqu’en 1924. Son autobiographie relate en détail ses succès et ses déboires sur cette longue période. En 2 ans il relève les effectifs à 130 élèves. La municipalité étant devenue conservatrice aux élections de 1888, pendant 4 ans c’est « l’âge d’or ».

Sur ce, la Comtesse vieillissante décide d’assurer l’avenir de son école en la donnant, avec un capital de 70.000 francs, aux Frères Maristes peu enchantés du cadeau. Aussi
« Comtesse, curé, évêque surtout (de Dreux-Brézé) montèrent sur leurs grands ergots et firent claquer les portes [… ]. Les châtelains et bourgeois de toute nuance s’en mêlèrent aussi. On s’adressa à d’autres congrégations qui ne voulurent rien entendre ».

Finalement les supérieurs, menacés des foudres de l’évêché, doivent, accepter une transaction peu avantageuse et le pauvre F. Joseph Eugène demeure dans une situation peu enviable :
« Je fus en face de tigres à peine satisfaits »
confie-t-il. Mais il n’est pas au bout de ses peines : son supérieur lui retire un adjoint
« jusqu’à ce que j’aie trouvé près des bonnes âmes le traitement de ce professeur parce que les revenus des 70 000 francs étaient insuffisants. »

Le poste sera finalement rétabli en 1899.

Un autre danger survient : les familles ayant l’habitude de prendre en nourrice des enfants de l’assistance publique, l’administration les contraint, si elles veulent continuer de bénéficier de cette faveur, d’envoyer leurs enfants à l’école publique. Conséquence pour l’école libre :
« Nos élèves nous glissent dans les doigts comme anguille. Bientôt plus que 80 ou 90 inscriptions ».

F. Joseph Eugène se sécularise sur place

Arrive l’interdiction des congrégations en 1903. Pour sauver son établissement, le F. Joseph Eugène se sécularise sur place :
« Après trois jours d’absence à Bourbon Lancy je reparais en habit civil et, seul pendant trois ou quatre semaines, je continuerai à faire la classe aux 80 enfants fidèles qui revinrent malgré les cancans et les menaces de toutes sortes ».

Il est sauvé par M. Laniel, frère sécularisé, qui lui propose de devenir son adjoint. Il en fait un éloge émouvant :
“ Bon professeur avec les petits, encore meilleur avec les grands qui l’aimaient à la folie, bon confrère, bon serviteur qui se serait détruit pour le "patron". [ … ] Sans peine, sans bruit, sans pénitence ses élèves s’instruisaient comme par enchantement. Ses connaissances, bien limitées cependant, suffi-saient pour son milieu"

Il sera tué à la guerre en 1917. Quant au frère Joseph Eugène, il devra, en 1906, racheter son école, mise sous séquestre puisqu’appartenant à la congrégation, avec une partie de l’argent de la donation de la comtesse.

L’école de Souvigny n’a pas réussi à s’implanter profondément

Ainsi, l’école de Souvigny que nous avons suivie pendant une cinquantaine d’années n’a pas réussi à s’implanter profondément. Fondée par l’aristocratie et le clergé dans une région peu chrétienne, sous l’Empire autoritaire, elle n’a jamais pu bénéficier d’un appui suffisant de la société. La preuve en est que jamais elle n’a pu devenir école publique.

Quand l’hostilité de l’État s’est ajoutée à ce handicap, elle n’a pu que vivoter. Souvigny est donc typique de ces fondations souvent effectuées à la faveur de circonstances politiques favorables par des notables traditionnels, qui ne sont pas les derniers à poser aux frères de sérieuses difficultés.

A. Lanfrey : Marcellin Champagnat et les Frères Maristes, p 263

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