L’idée païenne de Dieu
Je souligne que le mystère de la Croix du Christ n’est qu’une énigme dépourvue de signification, si l’on ne se convertit pas radicalement de l’idée qu’on se fait spontanément de la puissance de Dieu.
Tout homme commence par chercher Dieu dans la ligne de la puissance, Dieu est le « Grand Patron », c’est inévitable : on ne peut pas ne pas s’orienter d’abord dans cette direction qui est païenne. Spontanément, nous voudrions que Dieu intervienne constamment dans nos affaires, que Dieu écrive Lui-même notre histoire à notre place, que Dieu nous délivre de cette terrible responsabilité que nous avons d’être nous-mêmes l’auteur de notre destin.
L’image de la Toute-Puissance et celle de la Toute-Impuissance
Quand on devient chrétien (car on n’est pas chrétien, on le devient, il y faut une conversion de tous les jours) et que l’on contemple l’Impuissance absolue de l’Homme-Dieu cloué sur une croix, on a toujours beaucoup de peine à oublier la première démarche (païenne) qui nous a profondément marqués. On est toujours mal converti. On oscille entre deux images du divin que l’on concilie tant bien que mal, faute de savoir les unifier : l’image de la Toute-Puissance païenne, dominatrice et l’image de la Toute-Impuissance du Christ cloué qui agonise et qui meurt. L’image de la Toute-Puissance païenne subsiste par dessous, inchangée ; et l’image de la Toute-Impuissance du Christ cloué est en quelque sorte en surimpression. Cette coexistence des deux images est un désastre pour l’âme et pour l’esprit.
C’est la mort du Christ qui révèle en plénitude la Gloire de Dieu
Il faut donc poursuivre à longueur de jours et d’années une méditation proprement chrétienne qui nous persuade en profondeur que c’est la Toute-Impuissance du Calvaire qui révèle la vraie nature de la Toute-Puissance de Dieu, de l’Etre éternel et infini.
C’est la mort du Christ qui révèle en plénitude le Gloire de Dieu, cette Gloire qui est identiquement l’Amour comme Puissance d’anéantissement de soi. C’est en Jésus crucifié qu’est rendu manifeste le pur « pour toi » ou « pour vous » de l’Absolu vivant qui est Trinité.
C’est un homme défiguré, sanglant, couvert de crachats, de sueur et de sang, comparé par Isaïe à l’agneau conduit à la boucherie, qui dé-voile l’Etre éternel sans figure. L’existence humaine n’a de sens qu’en lui et par lui : telle est l’affirmation centrale de la foi.
Comme on comprend l’émotion de saint Paul, quand il nous dit (Ph 3, 18) qu’il « pleure » en songeant à ces hommes « qui marchent en ennemis de la croix du Christ » ! Il faudrait sans doute demeurer ou devenir capables de pleurer aussi.
François Varillon, extraits de ses conférences
cf « Joie de croire, joie de vivre », p. 78