Témoignage : « Nos actes font le monde »

Xavier Emmanuelli nous parle ici de sa relation à Dieu et de sa foi dans la liberté humaine, quand tout porte à croire que c’est l’absurde qui domine nos vies. - Voir aussi le témoignage de Guy Gilbert « Dieu fait des miracles dans ma vie »

Docteur en médecine, co-fondateur de Médecins sans frontières et du Samu social de Paris, Secrétaire d’État à l’Action humanitaire d’urgence (1995-1997), Xavier Emmanuelli est engagé dans la lutte contre la souffrance. Ce qui ne va pas sans un questionnement douloureux sur le sens. II nous parle ici de sa relation à Dieu et de sa foi dans la liberté humaine, quand tout porte à croire que c’est l’absurde qui domine nos vies.

Croire aujourd’hui : Vous êtes depuis des années engagé aux côtés de ceux qui souffrent.

Xavier Emmanuelli : Avant le Samu social, j’ai travaillé comme anesthésiste en réanimation. J’y ai côtoyé une souffrance profonde. Les gens qui arrivent sont broyés. Dans ce service n’existe souvent plus qu’un fil entre la vie et la mort. Les actes posés ont alors un poids considérable : celui d’une vie humaine.

Et malgré les heures de garde derrière vous, il vous faut sans cesse vous rappeler qu’entre vos mains il y a un homme et pas seulement un organisme. Ce sont des moments durs. Alors, on se demande : Pourquoi la souffrance ? Pourquoi ces corps en loques ? Je ne peux m’empêcher de penser que tout cela est absurde. Mon combat n’est pas une lutte contre la mort. C’est une lutte contre l’absurdité, le non-sens de ce monde.

Seul l’homme décide s’il y aura du bien ou du mal. Et nous devons nous arranger avec cette liberté.

Croire aujourd’hui Comment conciliez-vous votre croyance en Dieu et cette confrontation à la souffrance ?

Xavier Emmanuelli : Mircea Eliade disait (1) : « Si Dieu n’existe pas, alors tout n’est que cendre et poussière »
Ma pensée va dans le même sens. Mais en même temps, que veut dire « Dieu » quand vous voyez la souffrance et la mort d’un enfant ? Ma réponse première est : « Je ne comprends pas » Il y a, en coulisses, des choses qui m’échappent. La vie a un sens caché que je n’ai pas la capacité de découvrir. Je n’en suis pas moins révolté. C’est insupportable. Mais ma révolte n’empêche pas la présence de Dieu.

Croire aujourd’hui Avez-vous toujours été convaincu de cette présence ?

Xavier Emmanuelli : Mon parcours de foi a été chaotique. J’ai été élevé dans la religion catholique, mais je m’en suis éloigné. C’était un rejet tranquille. Je trouvais tout cela un peu désuet, ridicule. Pourtant, dans les moments durs, de doute, j’avais toujours cette référence intime, personnelle, secrète.

Ce que l’on apprend lorsqu’on est enfant reste imprimé en nous. Il a fallu tous les déboires de la vie professionnelle, les rencontres avec la mort, la maladie et la souffrance pour que, petit à petit, mon dialogue avec Dieu refasse surface. Le fil, en fait, n’avait jamais été rompu, la relation était juste en sommeil.

Et puis, il m’est arrivé une série d’événements, des expériences mystiques en quelque sorte. C’est très difficile à raconter. Cela m’est tombé dessus malgré moi, dans des endroits incongrus, en voiture, dans le train. Des moments d’évidence où j’ai senti une présence totale, absolue.
Tout d’un coup, vous avez une preuve tangible, si tant est que ce soit une preuve ! Vous la vivez, vous la ressentez. Et le monde est transformé car vous avez chevillée au corps cette certitude, cette espérance.

Croire aujourd’hui L’espérance de quoi ?

Xavier Emmanuelli : Je m’interrogeais sur ma vie quotidienne, sur sa dureté, sur ce que je vivais professionnellement. Et j’avais soudain la certitude que les choses se déroulaient de cette façon parce que ça devait être ainsi.

Mais attention, cela n’enlève rien à la responsabilité de nos actes. Je crois à la liberté totale de l’homme. Dans la Genèse, il est écrit que c’est Adam qui donne leur nom aux animaux, et Dieu vient voir.
Le monde, c’est la liberté qui nous est offerte. Et celle-ci est immense, abyssale, terrible. Elle nous oblige à poser des actes. Le bien et le mal n’existent pas en eux-mêmes. Seul l’homme décide s’il y aura du bien ou du mal. Et nous devons nous arranger avec cette liberté dans les minuscules détails de la vie comme dans les grandes décisions. Nos actes font le monde. Et je crois que chaque homme a une mission, une besogne à accomplir sur terre.

Croire aujourd’hui Cette liberté semble aussi vous effrayer.

Xavier Emmanuelli : Elle est monstrueuse et belle à la fois. Chaque fois qu’un homme marche sur la terre, il doit découvrir les clefs, le pourquoi, le sens. L’homme n’est pas un phénomène biochimique à l’abandon. C’est un système dont l’objectif est de décoder et de donner des noms, du sens à ce qu’il voit. Que veut dire mon passage sur la terre ? Que veut dire ma souffrance ? Que signifie l’attachement que j’ai pour les autres ? Que veut dire la beauté ? Croire, c’est faire l’effort de comprendre qu’on évolue dans un univers très mystérieux et qu’il nous faut découvrir le sens que notre vie va donner à cet ensemble.

Croire aujourd’hui Ce retour à la foi, est-ce aussi un retour vers l’Église ?

Xavier Emmanuelli : J’ai une grande distance avec l’institution car je trouve qu’elle s’est diluée dans le politiquement correct. J’ai grandi en Corse. Une terre où la religion, à mon époque en tout cas, était très mêlée au quotidien, avec des côtés coutumiers, parfois magiques : les saints, la Vierge, les ancêtres y étaient très présents.

J’aimerais que l’Église réintroduise du symbolique et du rituel, des éléments qui structurent la vie quotidienne. J’aime bien les églises, assister à des messes, avoir des moments de recueillement. Mais tout cela ne me parle pas comme dans mon enfance. Je trouve que l’Église ne revendique pas suffisamment son mystère. Elle a peur. Je fais donc mon chemin, et je le fais seul… peut-être par orgueil.

Croire aujourd’hui Vous vivez votre foi en solitaire ?

Xavier Emmanuelli :Je ne me sens pas capable de transmettre quoi que ce soit. Si quelqu’un me le demande, alors je crois que j’aurai le devoir de lui raconter. Mais si les gens ne sont pas prêts, que leur dire ? Il est si difficile d’être en paix avec sa croyance. La mienne est puérile. Quand je m’adresse à Dieu, j’ai quatre ans. Comment pourrais-je alors parler de cette foi aux autres ? Par des paroles de consolation ? d’amour ? Je n’ai pas besoin de passer par la foi pour cela.

Xavier Mannuelli
1938 naissance en Corse.
1967 : diplômé de l’École de Médecine de Paris.
1971 :assistant au CHU Henri Mondor. Il cofonde Médecins sans Frontières et participe un an plus tard à la création du Samu 94.
De 1975 à 1980 : anesthésiste-réarumateur dans divers hôpitaux.
1988 Médecin-Chef des Maisons d’arrêt de Fleury-Mérogis
1992:praticien au Centre d’accueil et de soins hospitaliers de Nanterre, un lieu où sont amenés les SDF ramassés dans les rues de Paris et dans le métro.
1993 : il crée le Samu social. L’idée est d’aller à la rencontre des laissés- pour-compte de la société afin de leur proposer abri et soins.
1999 : il crée le Samu social international.

Propos recueillis par Claire Feinstein

Croire aujourd’hui n°172, 15 mars 04

NOTES (1)
Écrivain roumain (19071986) Spécialiste de l’histoire des religions et de l’étude des mythes.


Guy Gilbert : « Dieu fait des miracles dans ma vie »

(Les extraits que vous trouverez ci-dessous sont tirés de la revue La Vie, « les Essentiels ». L’article est daté du 22/03/2016.)

Guy Gilbert : Dieu fait des miracles dans ma vie

« Depuis 50 ans, le célèbre prêtre-éducateur vit avec les jeunes délinquants dans les quartiers nord de Paris et dans sa ferme provençale. […] »Le premier môme que j’ai hébergé était un gosse de 12 ans errant dans les rues de Blida, en Algérie. […]

« Depuis 50 ans, je vis dans la violence. Aux côtés des loubards, j’ai été obligé de me battre pour défendre les plus démunis, de passer des nuits dans les bars ou les commissariats, des heures au tribunal à plaider la cause de gamins, qui, aux yeux de leur mère, n’étaient plus dignes d’être regardés. […] »J’insuffle à ces jeunes de l’espérance par ma présence, rien d’autre. Comment un gosse, matraqué par ses parents, analphabète, complètement cassé, peut-il croire en l’amour humain ? Et en l’amour de Dieu ? […]

Sans la présence de Jésus à chaque instant, je n’aurais jamais tenu dans mon sacerdoce de près d’un demi-siècle, où les violences, les morts, les vies naufragées ont été mon quotidien.[…]

"J’ai pu perdre espoir, l’espérance jamais. Au bout de l’espérance, il y a le Christ et Il nous accompagne chaque jour sur ce chemin, même si nous l’ignorons. J’ai vu des tas de jeunes se relever de façon extraordinaire. J’ai vécu d’innombrables échecs aussi. […]

"Il n’y a pas de résurrection sans croix. Si un chrétien oublie ça, il oublie tout. Et chaque jour je passe par la croix qui m’est donnée. L’eucharistie que je célèbre tous les matins, intimement ancrée dans le mystère pascal, m’amène au bonheur de croire qu’à chaque jour qui nous est donné nous pouvons vivre une renaissance. […]

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