On ferme les yeux sur le contexte des crimes pédophiles

Nos sociétés, qui répriment et tolèrent tout à la fois, fuient sans courage cela même qu’elles croient regarder en face : le sexe et les questions qui lui font escorte.

Ce n’est évidemment pas le rejet de la pédophilie qui posa problème à cet instant, certes non. C’est cette manière furieuse d’exhiber des coupables avec d’autant plus de hâte que, pour l’essentiel, nos sociétés continuent de « tourner autour du pot » en matière de morale ; c’est cette obstination à fermer les yeux sur le contexte des crimes pédophiles, par crainte de faire le jeu de la « réaction » : la pornographie devenue un art ménager de la société marchande, la télévision du hard assez peu regardante en matière de limites, l’effarant laxisme du passé et la myopie du présent.

Cette rafle grandiloquente, mais circonscrite à une catégorie bien précise de suspects, rappelait un rituel périodique des anciens régimes communistes : l’immolation de quelques apparatchiks corrompus et malchanceux, immolation qui permettait de sauver le système, de faire la part du feu. Cette chasse ouverte aux pédophiles et les quelques polémiques tardives qu’elle provoqua laissèrent pareillement entrevoir un peu de la sourde terreur qui, en secret, justifiait l’entreprise. Et le soulagement provisoire qu’elle escomptait de ces répressions.

La question de l’interdit se ramenait donc tout entière à une affaire d’âge et d’état civil ?

Ouf ! Quinze, seize ou dix-sept ans et demi : il y avait hédonisme légitime dans un cas, crime abject dans l’autre. A quelques mois près. On se rassura d’un partage aussi sobrement arithmétique entre le bien et le mal. Le grand désarroi moral redevenait une question de calendrier. Enfin ! Que partout ailleurs la fête continue ! Pour se dérober devant une question abhorrée - quelle morale sexuelle pour quelle société ? -, on perfectionnait de cette façon une pratique du double langage et du discours évolutif.

Langage de sourcilleuse répression d’un côté (Haro sur le moindre suspect ! Au poteau les profs trop caressants !) ; bavardage nietzschéen et doxa permissive de l’autre (Vive le porno télévisé ! Bravo au nightclubing et au coït échangiste !). Discours d’admonestation sentencieuse le matin (Protégeons la pureté de l’enfance ! Honte au désir bestial !) et protestation permissive le soir (non à l’ordre moral). Cette pathologie du double langage n’a qu’une fonction véritable : éluder. Ainsi nos sociétés, qui répriment et tolèrent tout à la fois, qui confient à la police les dilemmes qu’elles ne savent plus trancher, fuient-elles sans courage cela même qu’elles croient regarder en face : le sexe et les questions qui lui font escorte.

J.C. Guillebaud : La tyrannie du plaisir, p. 89-90

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