L’exclusion découle de la rupture des liens

L’exclusion découle non pas de la pauvreté, mais de la rupture des liens. L’aspect économique n’est pas le meilleur indicateur du degré d’exclusion. Il peut même passer au second plan.

L’exclusion découle non pas de la pauvreté, mais de la rupture des liens .

L’aspect économique n’est pas le meilleur indicateur du degré d’exclusion. Il peut même passer au second plan par suite d’un excès d’inclusion, et c’est ce qui explique en réalité le phénomène de la corruption qui gangrène l’Afrique : dès que quelqu’un occupe un poste public, il doit entretenir une masse de parents, d’amis, de protégés. Il ne peut absolument pas se dérober à ce devoir. Il n’existe pas de notion d’un service public désincarné. C’est l’utilité par strates qui prévaut : d’abord la famille, puis le groupe, puis l’ethnie, et enfin la nation - quand elle existe. Dans ce type de société, le contrat économique est clairement subordonné au contrat de l’appartenance.

Plus près de nous, en Europe, le risque d’isolement n’est pas le même partout. Selon une étude de l’Insee parue en 1999, ce risque augmente du sud vers le nord : 1 % des chômeurs en situation de pauvreté vivent seuls en Italie et en Espagne, contre 39 % au Danemark.
Plus de 53 % d’entre eux reçoivent une aide de leur famille ou de leurs amis en Grèce, 25 % en Italie et en Espagne, et moins de 12 % de France.
Quand l’appartenance est forte, elle réussit à endiguer le processus de précarisation. Qu’elle vienne à manquer, l’alcool et la dépression aidant, la voie est ouverte vers l’exclusion.

L’intégration n’est donc pas obligatoirement proportionnelle au niveau professionnel ou économique. Ni l’exclusion, une conséquence nécessaire du chômage et de la pauvreté. La qualité des liens familiaux, amicaux et sociaux est un facteur considérable d’inclusion.

A contrario, un bon niveau d’études, un métier qualifié, un logement stable, ne suffisent pas à écarter la menace de l’exclusion : l’isolement social rend vulnérables les plus grands cracks. Il suffit qu’ils soient licenciés ou partent à la retraite, « perdent » leur conjoint ou leurs enfants. Les seuls liens qu’ils possédaient se rompent. Bien sûr, ils ne se retrouvent pas à la rue. Mais ce n’est pas un gros compte en banque qui empêche de glisser dans la dépression, l’alcoolisme ou la toxicomanie. Ils peuvent mourir tout seuls, personne ne s’en soucie. Ils ont de l’argent et ils sont exclus.

Il existe donc une échelle du risque, qui prend en compte autant les compétences que les liens. Ceux qui ont les deux sont totalement intégrés : ils représentent heureusement le plus grand nombre, jouissant de droits, de revenus, de reconnaissance et d’affection.

Ceux qui ont beaucoup de liens et peu de compétences sont inclus dans leur communauté : cette catégorie, si puissante dans les sociétés qui cultivent le « filet de sécurité », est en voie de disparition sous nos latitudes.

Ceux qui possèdent des compétences mais peu de liens sont inclus mais vulnérables : ce groupe, qui englobe beaucoup de personnes âgées, de cadres frénétiques, d’individualistes forcenés ou au contraire de personnalités « évitantes » est en augmentation rapide, proportionnelle à l’usure du maillage sociétal.

Ceux qui n’ont ni liens ni compétences sont exclus. Ce sont ceux que nous voyons venir gonfler la cohorte des naufragés dans nos rues. L’exclusion découle non pas de la pauvreté, mais de la rupture des liens et, au-delà, de la dégradation de la cohésion collective. Dans les grandes cités du Nord, l’appartenance et la représentation de l’appartenance sont mises à rude épreuve. La cohésion - familiale, locale, professionnelle, etc. - a beaucoup souffert sous les assauts de l’individualisme. Les grands consensus sociaux, politiques ou religieux, qui fondaient la vie collective se sont effrités. Les maillons les plus fragiles de la société, comme les enfants, les femmes ou les vieux, courent désormais un risque grave d’exclusion.

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