« Qu’ils aient tué Dieu, passe encore, mais ce qui m’agace, c’est qu’ils l’ont tué juste après me l’avoir refilé. Pourtant, cela ne sentait pas l’arnaque à première vue et les curés de mon enfance avaient l’air sincère. Ils sont venus avec leur Dieu en Afrique. Ils m’ont dit que c’était le vrai, le bon, l’unique. Ils m’ont forcé à brûler mes "idoles" d’animiste présumé.
Le problème, c’est que moi, je me suis attaché à ce Dieu. Le problème, c’est que je le trouve vraiment à mon goût. Je n’arrive plus à me défaire de l’emprise de cet homme Dieu qui, sur les sentiers, les places et les synagogues de Palestine, n’a parlé que d’amour. Franchement, j’ai essayé de m’en défaire. Ma révolte postadolescente, qui me faisait douter de tout, m’a fait douter de lui. Le jeune étudiant que j’étais a flirté avec l’athéisme, puis avec le bouddhisme. Un instant, j’ai tourné le dos aux psalmodies du rosaire, pour la gutturale des NAMIO HO et des AOUUUUM bouddhistes à faire trembler les fondations de mon immeuble.
Puis je suis revenu vers votre Dieu - pardon mon Dieu - à qui, sincèrement, je n’avais rien à reprocher. […] Chez nous, la religion forcée faisait partie du paquet colonial, avec le travail forcé et l’instruction scolaire réservée à une élite. Ce démarrage forcé a profondément compliqué les débuts du christianisme en Afrique. […]
Quand on m’enjoint avec insistance de ne pas oublier mes origines, on a peine à croire qu’elles sont platement chrétiennes et que les seuls rites initiatiques par lesquels je suis passé sont le baptême, la communion et la confirmation. Ni amulette ni pentacle, mes seuls gris-gris sont aujourd’hui le petit crucifix et la médaille qui pendent à mon cou et ne me quittent jamais. »
Gaston Kelman, Parlons enfants de la patrie, Max Milo Éditions, 2007.
J. C. Guillebaud : Le commencement d’un monde p. 213