Comment en sommes-nous venus à laisser dans un abandon si complet, si sauvage, si intolérable, d’authentiques malades, nous qui nous enorgueillissons de notre merveilleuse couverture sanitaire et sociale ? Que dirions-nous si les cardiaques, les cancéreux, les diabétiques ou les malades du sida n’avaient plus que la rue pour refuge ? Les psychotiques que les équipes du SAMU social vont voir toutes les nuits sur leurs pauvres territoires sont aussi gravement atteints dans leur santé, sinon plus, que n’importe lequel de ces malades du cœur, du foie ou du système immunitaire. Et, pourtant, aucune institution ne veut s’en préoccuper.
Comment ! s’étonnera-t-on. Il n’y a pas d’asiles psychiatriques ? Il n’y a pas de maisons de repos, de cliniques spécialisées, de foyers semi-médicalisés, de centres, de sanas, ou tout autre établissement, « fait pour » - pour les recueillir et les soigner ? La réponse est non. Quand un fou n’a pas de famille ni d’amis, ou quand il n’est pas fermement soutenu et protégé par son entourage, il aboutit inévitablement à la rue. C’est eux que nous appelons les « grands exclus ». (p. 166)