"J’ai longtemps eu honte – pensez-vous, un religieux, un prêtre ! – de ma faiblesse dans ce domaine, de ces longs temps de silence où les élans mystiques étaient bien rares, mais où il fallait quotidiennement affronter les distractions et l’ennui.
Je comprends qu’on ait envie de meubler, de remplir ce silence de pieuses récitations, de formules joliment trouvées pour plaire à Dieu, éviter à tout prix l’inconfort de ce vide qui me révèle d’abord ma pauvreté. Ce n’est pourtant pas du temps perdu.
Face à ce silence, ma culture religieuse, ma connaissance de la Bible, mon outillage philosophique ou rhétorique, tout ce qui me permet d’ordinaire de parler de Dieu avec assurance me file soudain comme de l’eau entre les doigts. J’ai n’ai plus de droits sur Dieu et mes illusions de le posséder ne tiennent plus devant l’évidence : face à Dieu je ne peux être que mendiant.
Si j’affronte ce silence sans le fuir, sans chercher à le peupler par mon imagination galopante, je laisse Dieu se révéler à moi comme il le souhaite, et non comme je le souhaite ; je le laisse désarmer patiemment mes idolâtries, assouplir mes rigidités, saper ma suffisance, parce que ce silence même me répète que mes tentatives de me grandir et de me faire beau sont vouées à l’échec et qu’avec Dieu, il n’est jamais question que d’amour.