J’ai relevé dans ce carnet de notes l’article paru dans le journal LA CROIX du 8 décembre 2016.
Quelques extraits
- Les idoles de notre société occidentale ont chuté avec la crise de 2008. Les dieux qui nous avaient promis la richesse et l’espérance ont failli.
- notre culture s’est éloignée de ses racines judéo-chrétiennes, de ce qui l’équilibrait. Nous vivons les conséquences de l’absence de sens donné à l’existence, et l’absence de foi en une vie éternelle.
- Il est frappant d’observer un retour de la violence religieuse.
- nous avons besoin de lutter contre les inégalités : dans la finance, l’éducation, le logement, la santé et l’environnement.
Le texte dans son entier
Le Brexit ou l’élection récente de Donald Trump expriment manifestement une colère chez les électeurs. Comment l’expliquez-vous ?
Dr Justin Welby : Cette colère exprime une absence d’espoir, une forte désillusion. Les idoles de notre société occidentale ont chuté avec la crise de 2008. Les dieux qui nous avaient promis la richesse et l’espérance ont failli. Les prêtres de ces dieux – c’est une métaphore – sont les politiques et les économistes qui affirment que l’économie est la fin de toute chose.
Prenons les États-Unis : les classes inférieure et moyenne ont le même niveau de revenus aujourd’hui qu’en 1998. Pour la première fois depuis la Seconde Guerre Mondiale, une génération pense que ses enfants seront plus pauvres et qu’elle-même finira sa vie plus pauvre qu’elle ne l’a commencée. Cela génère de la colère.
D’autant plus que notre culture s’est éloignée de ses racines judéo-chrétiennes, de ce qui l’équilibrait. Nous vivons les conséquences de l’absence de sens donné à l’existence, et l’absence de foi en une vie éternelle. Notre puissant individualisme est le résultat de la post-modernité, un sentiment absolu que ma vérité personnelle est la seule vérité, que mon avenir est le seul avenir qui compte. Lorsque l’on m’ôte cet avenir rêvé, je perds le sens de l’éternité, de la famille, de la communauté. Il ne me reste que ma colère.
Cette colère ne semble-t-elle pas gagner aussi d’autres pays que notre seul Occident touché par la crise ?
J. W. : C’est vrai. Dans des pays émergents aussi, on observe une colère contre une réalité commune à tous les pays occidentaux et émergents : celle de la mondialisation. Il est frappant d’observer un retour de la violence religieuse. C’est le cas dans l’hindouisme -avec le nationalisme hindouiste –, dans le bouddhisme – avec les radicaux du Myanmar et du Sri Lanka –, parmi les juifs radicaux au Nord d’Israël attaquant des églises, dans le monde musulman, bien entendu, et parmi les chrétiens, en République centrafricaine ou au sein des milices chrétiennes qui s’en prennent aux mosquées.
Notre génération avait cru que cette violence religieuse appartenait au passé. Ce n’est pas le cas. Les explications sont sociologiques, économiques autant que religieuses. L’économie mondiale est dominée par la loi du marché. Elle semble exclure les valeurs éternelles de chacune de ces sociétés. Face à des évolutions très rapides, les populations deviennent inquiètes, prudentes et se retranchent derrière ce qu’elles pensent être leur identité.
Ce qui est en cause, c’est la vitesse du changement ?
J. W. : L’accélération des choses est extraordinaire. Les nouvelles technologies de l’information également. Si je veux savoir ce qui se passe dans le Gujarat (en Indes), il me suffit d’aller sur Internet. J’y trouverai les déclarations d’un quelconque homme politique sans pour autant connaître son cœur.
Il y a quelques semaines, à Abou Dhabi, nous avons débattu entre responsables anglicans et musulmans du monde entier. Assis ensemble, nous regardant dans les yeux, nous avons eu des discussions parfois difficiles. Mais, nous pouvions nous retrouver à la pause-café pour nous dire : « Mon cher frère, laisse-moi mieux t’expliquer ce que je voulais dire ». On ne peut pas faire cela avec les réseaux sociaux.
Comment ces personnes peuvent-elles dépasser leur colère ?
J. W. : Il n’y a pas de solution magique. Mais nous avons besoin de lutter contre les inégalités : dans la finance, l’éducation, le logement, la santé et l’environnement. Les États doivent montrer clairement qu’ils sont du côté des pauvres. Cela demande une repentance profonde, si je parle en chrétien, et un changement de direction de la part de tous ceux qui contrôlent les ressources de la planète. Nous ne pouvons pas considérer nos seuls intérêts. C’est la priorité. La mondialisation doit retrouver une vision par laquelle elle sera au service des pauvres, sans quoi elle n’aura aucun droit moral à exister.
Regardons ce qui s’est passé après 1945 en Europe : l’immense élan de générosité déclenché par le plan Marshall. Les États-Unis ont versé des sommes colossales pour empêcher la famine en Europe. Il faut un même élan de générosité de la part des pays riches.
Ces pays dits « riches » accumulent les dettes. Est-elle une autre source de colère ?
J. W. : Nous devons nous poser la question de nos dettes. Elles sont souvent contractées auprès d’autres pays, comme la Chine notamment. Si nous voulons affronter les problèmes de la mondialisation, il faut prendre en compte l’emprisonnement que représente cette dette. C’est une prison pour un pays, des individus, et surtout pour l’imagination. Elle nous oblige à regarder derrière et non pas vers l’avenir.
Aujourd’hui, nous devons affronter la banqueroute morale de notre économie, dire qu’on ne peut pas continuer à aller de l’avant avec un système fondé sur une dette qui nous fait travailler pour les riches au lieu de construire pour les pauvres. Si l’on n’affronte pas cette réalité, au sein de nos Églises comme au sein de nos sociétés, alors rien ne changera.
Quelle vision redonner à l’Occident pour qu’il soit capable de générosité. Comment insuffler de nouveau de l’espoir ?
J. W. : Dans son encyclique Caritas in Veritate, le pape Benoît XVI a évoqué la nécessité d’introduire plus fortement dans notre doctrine sociale chrétienne le concept de gratuité. C’est une vraie piste.
Deuxièmement, pour répondre à la colère, il faut montrer que l’on entend et que l’on comprend cette colère. Il ne s’agit pas de l’encourager, ni de la nourrir. Les gouvernements doivent reconnaître leurs échecs, sans surtout rejeter la faute sur d’autres. Nous devons tous ensemble travailler au renouveau de la communauté.
Bien sûr, les gens votent pour leurs propres intérêts. Ils l’ont toujours fait et le feront encore. Mais il arrive aussi qu’ils votent avec générosité, quand ils voient clairement que c’est bon et que cela enrichira la société. Au Royaume-Uni, nous consacrons maintenant 0,7 % de notre PIB au développement des pays les moins avancés. Nous avons atteint cet objectif, en pleine récession ! Nous avons prouvé qu’il est possible d’avoir, sur ce plan, une vision.